
par Georges Leroux, professeur émérite, Département de philosophie, UQAM
Dans la notice que le rectorat de l’UQAM a fait paraître suite au décès, survenu le 20 mars dernier, de notre collègue Jean-Guy Meunier, l’hommage rendu témoigne de l’importance de sa contribution à la vie philosophique au Québec. Je souhaite ici rendre hommage à un homme qui, tout au long d’une longue carrière au département de philosophie, a développé des expertises multiples dans des domaines où les philosophes plus traditionnels, ou conventionnels, ne s’étaient jamais aventurés. Se fondant sur une formation classique, notre collègue a en effet complété cette recherche académique par un recours dynamique à une activité pluridisciplinaire exceptionnelle, où il a fait figure de pionnier et de modèle.
Sans entreprendre d’en faire ici la liste, il suffira de mentionner, pour ne donner qu’un premier exemple, ses engagements dans divers projets de pédagogie universitaire, qui déjà, à l’époque de la première UQAM, mobilisaient des connaissances d’informatique et de technologie peu connus lorsqu’il les mit sur pied. À ces initiatives audacieuses, il faut ajouter le développement d’une riche collaboration de recherche avec les collègues des départements de mathématique et d’informatique, suivie par une collaboration très soutenue avec le programme de doctorat en sémiologie et avec l’Institut de sciences cognitives. Tous ces travaux ont conduit à la mise en place de modèles de sémantique computationnelle qui ont fait l’objet de son plus récent livre.
Rendre hommage à Jean-Guy Meunier exige donc de parcourir de nombreux chemins de traverse, pour rendre compte de toutes ces réalisations, toutes plus remarquables les unes que les autres. C’est peu de dire que Jean-Guy fut un philosophe novateur et créatif, il fut un réel pionnier, autant en philosophie du langage que dans les disciplines complémentaires où il avait choisi de poursuivre sa recherche. Ses travaux les plus récents lui avaient permis d’arpenter encore un nouveau territoire, alors qu’il avait constitué une équipe, dans laquelle il avait recruté quelques jeunes chercheurs qu’il avait formés, sur les approches informatiques du corpus des œuvres de philosophie québécoise. Jean-Guy avait le génie de la nouveauté, il avait aussi le courage, suivant la formule de Kant, d’inventer de nouvelles règles.
Par ailleurs, Jean-Guy était un homme qui a joué un grand rôle dans la vie de notre département, notamment en favorisant la collaboration et en valorisant l’amitié philosophique. Entendons par là la reconnaissance du travail de chacun au sein de la discipline. J’ai moi-même bénéficié de son aide à plusieurs moments, en particulier à certaines périodes turbulentes, alors que les orientations de notre département étaient mises en question, périodes au cours desquelles il s’est révélé un médiateur exceptionnel.
J’avais connu Jean-Guy dans ma jeunesse, alors que j’étais encore au collège Sainte Marie et lui au collège Saint Viateur. C’est grâce à lui que je fus recruté dans la première équipe qui a accompagné la transformation du collège Sainte Marie en Université, de 1967 à 1969. Ces premières années furent l’occasion d’une exceptionnelle créativité, en particulier sur le plan de la refonte des programmes et de la mise en place de modèles pédagogiques inédits. Soutenu sur tous ces fronts par les équipes de fondation de l’UQAM, et en collaboration étroite avec notre premier directeur, Harel Malouin, il contribua à créer l’institution dynamique que nous connaissons aujourd’hui. Rappelons seulement à cet égard que notre département ne connut pas les guerres culturelles, opposant les continentaux et les analytiques, qui affligèrent tant d’universités d’après-guerre, en particulier aux États-Unis et dans le Canada anglais, et cela nous le devons à la sagesse des fondateurs qui avaient mis en place un nouvel équilibre favorisant autant la philosophie théorique que la philosophie pratique. L’épistémologie, la philosophie du langage cheminaient côte à côte avec l’éthique et la philosophie politique. Auteur d’une thèse doctorale sur l’épistémologie du jeune Marx, Jean-Guy Meunier avait toujours eu le souci de cet équilibre.
Je lui dois personnellement beaucoup, et je suis heureux d’avoir pu lui parler quelques jours avant son décès, alors qu’il se savait condamné, mais entretenait un filet d’espoir. Sa parole était sereine, son attitude socratique. Son décès constitue une lourde perte pour notre département, pour ne rien dire du fait qu’il est le cinquième à partir parmi la première cohorte, après Roger Lambert [† 1924-2005], Harel Malouin [† 1937-2013], François Latraverse [† 1950-2020] et Fernand Couturier [†1928-2023].
Je rends donc hommage à un collègue exceptionnel et à un ami philosophe dont la pensée et l’expérience ont rendu ma vie plus douce. À son épouse Suzanne et à son fils Pierre-André, j’exprime, au nom de notre département, mes condoléances les plus sincères.
Le 10 mai 2024
Georges Leroux
Professeur émérite
Département de philosophie
UQAM